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Cette rubrique a pour objectif d'expliquer
pourquoi et comment les anciens combattants survivants de
la Guerre 14-18 ont été recensés en France
dès 1995. Nous introduirons la discussion par une brève
comparaison avec les guerres passées (celles du Ier
Empire et de 1870-71), verrons le rôle majeur du septennat
du Président Chirac et l'action de l'ONAC engagée.
Enfin nous nous interrogerons sur l'éventuel épilogue
que constituerait l'organisation d'un hommage national pour
l'enterrement du dernier "Poilu".
La Guerre de 14-18 et la disparition médiatisée
de ses derniers combattants durant les années 2000
constitue une première en France. Jamais auparavant,
un tel évènement n'avait pu être observé
de façon aussi précise par un si grand nombre.
A titre de comparaison, on ne sait pas très bien quels
furent les derniers combattants des guerres du Ier Empire
et de 1870-71. Quelques cas isolés sont cependant connus
comme, Louis-Victor BAILLOT (09-04-1793
/ 03-02-1898, 104 ans), qui était considéré
comme le dernier survivant de Waterloo
[lien]. Cas
exceptionnel que celui de Gerrit (Geert) ADRIAANS (21-09-1788
/ 03-02-1899) : ancien combattant hollandais engagé
dans l'armée napoléonienne, il fut tambour au
33ème Régiment Léger et mourut à
l'âge de 110 ans (le premier supercentenaire connu).
Le mystère est encore plus grand quand on examine les
anciens combattants de la Guerre de 1870-71. Les derniers
soldats disparurent dans les années 1950 dans l'indifférence
quasi générale ; au mieux étaient il
des gloires locales. Les recherches que nous menons actuellement
nous ont permis d'identifier un des tous derniers combattants
décédé en 1955 (nous réservons
la primeur de cette découverte à une publication
prochaine).
Jusqu'en 1995 le nombre de survivants de la Grande Guerre
n'est qu'estimé. Seuls les anciens combattants touchant
une retraite (à ce titre) et les pensionnés
(pour invalidité) sont connus et recensés. C'est
l'ONAC (Office National des Anciens Combattants) qui accorde
le statut d'ancien combattant. Sont "écartés"
les anciens soldats qui n'en font pas la demande ainsi que
ceux "n'ayant participés" qu'aux derniers
jours de la guerre (trois mois de campagne étaient
nécessaires, à moins d'avoir été
décoré ou blessé ).
Le 24 août 1995 Monsieur Pasquini, un ancien combattant
de 39-45 et Ministre délégué aux anciens
combattants et aux victimes de guerre, prend, avec l'aval
de Jacques Chirac, la décision d'accorder la Légion
d'honneur aux Poilus survivants non encore décorés.
Mais il ne reste que deux mois pour constituer les dossiers
des futurs légionnaires (on souhaite les décorer
lors des cérémonies du 11 Novembre 1995). C'est
l'ONAC et le Ministère des Anciens Combattants qui
vont être chargés d'établir la liste de
tous les Poilus survivants et d'établir un dossier
individuel pour chacun des vétérans selon la
directive de la Chancellerie de la Légion d'honneur.
Pour être promu il faut un casier vierge et ne pas avoir
collaboré avec l'occupant entre 1940 et 1945 : 700
noms vont être rayés. Le Ministère pensait
recenser tout au plus un millier de survivants : ils sont
en fait cinq fois plus nombreux. Ce qui va bloquer dans la
constitution des dossiers de nombreux Poilus, c'est la fiche
d'état signalétique et des services. Cette fiche,
demandée par la Chancellerie de la Légion d'honneur,
atteste de l'affectation et des faits de guerre de l'intéressé
: elle ne sera malheureusement pas toujours retournée
à temps au Ministère des Anciens Combattants
par les archives départementales, ce qui repoussera
l'attribution de la Légion d'honneur pour un millier
de Poilus. Incompréhension et amertume gagneront certains
d'entre-eux.
Dans un décret de la Présidence de la République
daté du 3 novembre 1995 (Journal Officiel du 4 novembre),
1352 hommes se voient ainsi nommés au grade de chevalier
de la Légion d'honneur à titre d'ancien combattant
de la Guerre 14-18. Un second décret du 06 février
1996 attribuera la Légion d'honneur aux 900 Poilus
pour lesquels la constitution du dossier avait pris du retard.
Bien qu'un formidable travail de recensement ait été
effectué à cette occasion, le nombre exact de
survivants de la Grande Guerre au 03 novembre 1995 n'est pas
connu avec certitude. Voici notre estimation détaillée
:
- 2250 [ anciens combattants décorés de la L.H.
par décrets des 03-11-1995 et 06-02-1996 ] ;
- 700 [ anciens combattants de 14-18 ne répondant pas
aux directives de la Chancellerie de la L.H. ] ;
- ??? [ anciens combattants de 14-18 répondant aux
critères de la LH, ayant fait une demande de L.H.,
décédés entre novembre 1995 et février
1996 ] ;
- ??? [ anciens combattants de 14-18 déjà décorés
de la L.H. ; nous ne connaissons pas le chiffre, peut-être
un millier] ;
- ??? [ anciens soldats de 14-18 ne s'étant pas encore
fait recenser comme ancien combattant ou n'ayant pas déposés
de demande de L.H.] ;
- ??? [ anciens soldats de 14-18 "n'ayant participé"
qu'aux derniers jours de guerre, à priori des hommes
nés en 1899-1900 ; nous n'avons aucune idée
de ce chiffre ].
L'estimation communément admise fait état de
4000 Poilus (en réalité, peut-être un
millier de plus).
Au début des années 2000, le nombre de Poilus
s'étant considérablement réduit, les
préfectures vont rechercher les Poilus non encore identifiés,
afin de leur délivrer leur carte d'ancien combattant
et leur verser la retraite de combattant. Sont concernés
les Poilus qui ne s'étaient pas encore fait connaître
auprès de l'ONAC (par choix ou par méconnaissance).
Seront ainsi retrouvés plusieurs dizaines d'anciens
combattants, comme par exemple Monsieur Léon Navarre,
l'un des 12 derniers Poilus : il ne put remettre la main sur
son livret militaire que fort tardivement, et ne recevra la
Légion d'honneur qu'en 2004.
La question du décompte mérite également
d'être évoquée. Sur les 4000 Poilus recensés
en 1995-1996, connait-on le nombre exacte de ceux encore en
vie aujourd'hui ? La redécouverte de deux Poilus "oubliés"
en 2005-2006, messieurs Riffaud et Jaffré, permet d'en
douter.
Autre élément important : il découle
des critères sur lesquels la France se base pour accorder
le statut d'ancien combattant de la Guerre 14-18 (3 mois de
campagne, ou blessure au combat, ou acte de bravoure). Sont
ainsi écartés des statistiques les "jeunes"
générations de soldats (nés entre 1899
et 1901) totalisant peu ou pas de période de combat
(beaucoup étaient encore en formation au moment de
l'Armistice). Pourtant, la plupart des pays (anglo-saxons,
italie,...) sont moins exigeants et incorporent dans leurs
statistiques les soldats n'ayant pas ou peu combattus (les
américains vont jusqu'à accorder ce statut aux
militaires engagés dans les opérations de déminage
d'après-guerre).
Sachant que ces plus "jeunes" générations
constitueront probablement le dernier carré de survivants
à travers le monde, la France sera peut-être
amenée à modifier ses critères. Si tel
était le cas, le nombre de vétérans français
remonterait sensiblement (nous connaissons deux hommes rentrant
déjà dans cette situation).
Depuis quelques années des voix s'élèvent,
comme récemment celle de Monsieur Bernard-Marie Dupont
(voir sa lettre adressée au Président Chirac
dans Libération du 14-06-2005), pour réclamer
un hommage national lors des funérailles du dernier
Poilu. Le groupe socialiste de l'Assemblée Nationale,
dans une proposition de Loi bientôt à débattre,
propose même l'organisation de funérailles nationales
en un lieu symbolique. Ce 18 Novembre 2005, à l'issue d'une
réunion du Haut Conseil de la mémoire combattante, le Président
Jacques Chirac a retenu le principe d'"obsèques solennelles
de portée nationale".
Même si une telle cérémonie nationale
semble maintenant acquise plusieurs questions se posent :
le Poilu auquel on rendra hommage sera t'il bien le dernier
? Sa famille et lui-même accepteront-ils une telle cérémonie
?
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